Travail indépendant : une audace nécessaire pour atteindre le plein emploi

Après des mois de travaux, de débats, et parfois d’affrontements, la loi Plein emploi a été votée solennellement à l’Assemblée Nationale la semaine dernière et sera bientôt promulguée. Au-delà de la transformation du service public de l’emploi et des mesures contenues dans ce texte, plus ou moins clivantes politiquement, il y a une ambition affichée, un horizon partagé : bâtir la « société du Plein emploi » d’ici à 2027.

Objectif 5% de chômeurs ? Ne nous trompons pas de feuille de route : la « société du Plein emploi » ne saurait se réduire à une performance statistique.

Laisser, une fois encore, les plus fragiles au bord de la route serait un échec. Notre véritable défi collectif, c’est d’aller à la rencontre des femmes et des hommes privés d’emploi et de perspectives depuis longtemps. Non pas pour les « ramener » à l’emploi, mais pour tracer avec eux leur propre chemin vers une reprise d’activité, pour créer avec et pour eux la voie singulière et valorisante qui tiendra compte de leurs fragilités, de leurs empêchements, de leurs envies. Et cela, sans aucun prisme idéologique, sans préjuger de ce qui est bon pour eux.

Ce projet d’une société plus inclusive est déjà engagé. Beaucoup d’innovations ont émergé du terrain depuis quinze ans et ont enrichi la palette des solutions d’insertion. Citons le dispositif «Premières heures » et son CDI dit «progressif » ; l’expérimentation “Territoires zéro chômeur de longue durée” ; le pari gagnant de l’association Vivre et Travailler Autrement de recruter en milieu ordinaire des autistes sévères ; ou encore les cafés-restaurants Joyeux qui emploient en CDI des équipiers en situation de handicap mental et cognitif. Pour ces pionniers de l’inclusion par l’emploi, il aura fallu faire fi des sceptiques, des cyniques, des détracteurs, des Cassandre. Ayons l’audace de continuer à changer les regards et les pratiques pour offrir une place digne à chacun.

L’évolution de la société s’accélère, en particulier la vie professionnelle et le rapport au travail : les carrières sont moins linéaires et plus hybrides, les formes d’activité se diversifient. Notre conviction est que l’on peut s’appuyer sur ces transformations pour innover au service de l’insertion, avec l’exigence de créer un cadre plus protecteur et plus émancipateur pour tous. S’agissant du travail indépendant, nous entendons parfois en réaction à son développement : « c’est risqué, c’est particulièrement inadapté pour des personnes déjà précaires ». Certes, il reste beaucoup à faire pour améliorer ce statut. Pourtant, comment ne pas se réjouir que des personnes très éloignés de l’emploi se remobilisent et relèvent la tête grâce à leur activité d’indépendants ?

Depuis cinq ans, nous expérimentons des dispositifs d’insertion fondés sur le travail indépendant. Nous constatons que cette forme d’emploi est, dans certains cas, la solution la plus adaptée pour rebondir, quand ce n’est pas la seule option réaliste. Travailleurs en situation de handicap physique ou psychique, mères faisant face seules à l’éducation de leurs enfants et de leurs adolescents, travailleurs de la première ou de la deuxième « ligne », usés par des métiers pénibles, jeunes décrocheurs sans horizon, seniors ni en retraite ni en emploi… Derrière les chiffres de demandeurs d’emploi de longue durée et des bénéficiaires du RSA, il y a des accidentés de la vie, des personnes fragilisées par la maladie, des gens abîmés par le travail ou submergés par les difficultés. Pour de multiples raisons, certains ne peuvent pas, ou ne veulent plus, être salariés et aspirent à créer leur propre emploi. Écoutons ce qui les anime, reconnaissons qu’ils sont légitimes à faire ce choix, plutôt que de brandir des dogmes au nom de la défense des plus fragiles.

Les « Lulus », travailleurs indépendants en parcours d’insertion chez Lulu dans ma rue, nous parlent de leur « bien-être moral retrouvé », de la « fierté de se sentir utile » et « d’être digne de confiance », de la « chance de travailler », et du « plaisir de sortir de chez eux et de rencontrer des gens ». Grâce à leurs témoignages, nous n’avons pas peur de l’affirmer : le travail indépendant est un instrument puissant de lutte contre l’exclusion, lorsqu’il est conjugué à un accompagnement renforcé. Plutôt que de dénier cette réalité, reconnaissons ce nouveau levier d’inclusion et mobilisons-nous pour créer, sans tarder, un statut de travailleur indépendant au service de l’individu, protecteur et garant des droits fondamentaux.

La loi Plein emploi est donc votée, mais tout est à construire pour donner corps à cette société du Plein emploi. C’est l’occasion de mettre de côté nos certitudes et de concentrer notre attention sur ceux pour lesquelles les solutions actuelles demeurent inadaptées. Car ceux-là risquent de rester une nouvelle fois à l’écart des embellies statistiques. Inventons avec eux les dispositifs d’inclusion de demain, renforçons les droits de tous les travailleurs, salariés et indépendants, pour protéger les plus fragiles et pour laisser à chacun le choix de trouver une activité adaptée à son parcours de vie.

Plus qu’un chiffre dans un livre d’économie, c’est ce que nous aurons créé pour atteindre le Plein emploi qui restera notre héritage.

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