Muhammad Hafeez : les droits de l’Homme au cœur d’une affaire d’extradition entre l’Europe et les Etats-Unis

Un homme d’affaires pakistanais de 64 ans, M. Muhammad Asif Hafeez, qui a collaboré avec des agences britanniques et dubaïotes contre la criminalité, est incarcéré à Londres depuis 2017, dans des conditions extrêmement dures, sur demande des autorités américaines.

Celles-ci, prétextant soudainement des faits de trafic de drogue totalement contestés et jamais établis, demandent au Royaume-Uni son extradition en représailles à la décision de M. Hafeez de ne pas collaborer exclusivement avec elles.

La Cour européenne des Droits de l’Homme a suspendu l’extradition en attendant la fin de l’examen au fond, actuellement en cours.

Faits et contexte

Après avoir collaboré pendant 22 ans avec le “Her Majesty’s Custom & Exercise UK (HMRC)” et le “Dubai Criminal Investigation Department”, pour lutter contre la criminalité – notamment les crimes de guerre, la contrebande de drogues, le trafic d’armes et de personnes -, M. Hafeez a été approché en 2014 par le FBI ou la Drug Enforcement Administration (DEA) pour coopérer avec eux en tant qu’informateur afin de retrouver Dawood Ibrahim, considéré comme terroriste par l’agence indienne de renseignement extérieur Indienne Raw.

M. Hafeez ne coopérait pas seulement avec le service des douanes britannique, mais aussi avec la police de Dubaï, le CID de Dubaï, les autorités pakistanaises et l’UNODC. Au total, neuf réunions ont eu lieu entre M. Hafeez et les agences américaines à Dubaï.

Des fonctionnaires américains qui se trouvaient à Dubaï, qui ont par la suite été congédiés, ont demandé à M. Hafeez de collaborer uniquement avec eux alors qu’il avait déjà coopéré avec des agences locales et britanniques. M. Hafez a refusé cette collaboration très spécifique en mentionnant qu’il « partagerait les informations avec toutes les autorités compétentes ou avec qui il veut les partager ».

À la fin de la dernière réunion, le FBI et la DEA lui ont donc demandé des informations sur le criminel recherché, qu’il a refusé de communiquer. Les autorités américaines ont dès lors allégué, en représailles, que M. Hafeez était coupable de conspiration en vue d’importer de l’héroïne, de la méthamphétamine et du haschisch aux États-Unis.

Ces accusations infondées reposent en réalité sur la déclaration de M. Vijay Goswami, qui en voulait à M. Hafeez parce qu’il avait été condamné à Dubaï grâce aux informations que celui-ci avait fournies aux autorités. Après 16 ans de détention, il fut libéré, sur intervention de l’agence indienne de renseignement Raw, sur l’engagement d’assassiner un certain Dawood Ibrahim, le présumé terroriste indien. En effet Dawood Ibrahim a été déclaré terroriste pour les attentats de Mumbai, mais un journaliste a révélé que son implication aurait été fabriquée par la Raw pour le piéger alors que celui-ci protégeait le droit des minorités en Inde.

M. Goswami a par la suite tenté d’assassiner M. Hafeez en envoyant son ancien compagnon de cellule iranien, M. Ghulam Hussain Baloch, pour le tuer dans son bureau situé dans la tour Deira de Dubaï. Heureusement, il n’y était pas ce jour-là.

Cette situation reflète bien la volonté de vengeance qui anime M. Goswami et c’est en ce sens qu’il a effectué de fausses déclarations à l’encontre de M. Hafeez. Goswami a également témoigné contre M. Hafeez afin de protéger Oqbal Mirchi, le frère de Akbar Asif de l’agence d’espionnage indienne, qui était recherché en Inde et dirigeait un gang de trafiquants de drogue et d’enlèvements contre rançon.

Asif-Hafeez

Procédure

En 2014, les coaccusés de M. HAFEEZ, accusés de trafic de drogue, ont été arrêtés au Kenya à la demande des autorités américaines qui ont en outre exigé leur extradition vers les États-Unis. La veille de l’audience prévue devant le tribunal Kenyan, le 29 janvier 2017, un agent de la DEA les a enlevés puis remis aux États-Unis, où ils ont comparu devant le tribunal de New York.

Autrement dit, les coaccusés ont été jugés comme s’ils avaient été régulièrement extradés vers les États-Unis, ce qui n’était pas le cas. M. Hafeez a été arrêté le 25 août 2017 à Londres à la demande des Etats-Unis en vertu d’un mandat d’arrêt provisoire qui a seulement été délivré deux jours après son arrestation.

Des agents américains étaient présents au moment de la descente de police au domicile de M. Hafeez dans le centre de Londres et n’ont cessé d’essayer d’intervenir, ce qui n’est pas autorisé légalement au Royaume-Uni. Le mandat d’arrêt a officiellement été délivré le 17 octobre 2017 par le tribunal fédéral de New York inséré dans sa demande d’extradition.

Par conséquent, la validité de ce mandat peut poser question. De surcroît, les autorités britanniques n’ont jamais informé l’ambassade du Pakistan de l’arrestation de son citoyen alors qu’elles auraient dû. Après son arrestation, les États-Unis ont demandé au Royaume-Uni l’extradition de M. Hafeez le 18 octobre 2017.

L’extradition a été autorisée par les autorités britanniques le 5 mars 2019. Le juge de district et la Haute Cour britannique ont tous deux rejeté les recours formés par M.Hafeez pour contester cette extradition. M. Hafeez dénonçait une violation de certains de ses droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), notamment au regard de ses articles 3 et 6.

Fort heureusement et à juste titre, la Cour européenne des Droits de l’Homme, saisie par M. Hafeez, a suspendu cette extradition en attendant l’examen de l’affaire au fond, qui devrait intervenir très prochainement.

Condition pénitentiaire

En tout état de cause, il est possible d’affirmer que M. Hafeez subit des conditions pénitentiaires désastreuses au sein de la prison de Belmarsh, où il est incarcéré depuis son arrestation. Aujourd’hui encore, M. Hafeez n’a pas été autorisé à rencontrer l’entièreté de son équipe d’avocats pakistanais. La procédure d’autorisation de visite pour ses avocats européens est extrêmement lente, ce qui nuit aux droits fondamentaux en termes de défense.

M. Hafeez connaît également des conditions pénitentiaires particulièrement difficiles et dégradantes sur le plan familial dans la mesure où ce dernier n’est autorisé à voir les membres de sa famille qu’une fois par mois, par le biais de visites privées et d’appels vidéo, qui sont toutefois suspendus depuis quelques mois.

De plus, M. Hafeez décrit des comportements de discrimination raciale, notamment dans le fait de ne pas avoir droit à de nouveaux vêtements ou chaussures contrairement à d’autres détenus qui ont la possibilité d’en changer une fois par mois. Ces conditions participent à la dégradation de la santé mentale de M. Hafeez, au-delà des difficultés inhérentes à la détention elle-même.

M. Hafeez est enfermé 23 heures par jour dans des conditions désastreuses pour un homme d’un certain âge, avec notamment le système de chauffage central qui ne fonctionne pas toujours en plein hiver.

Problèmes de santé

L’état de santé de M. Hafeez, qui était déjà relativement fragile, s’est largement dégradé pendant son incarcération. Les derniers rapports médicaux effectués démontrent qu’il a perdu toute sa capacité auditive d’une oreille et 30% de l’autre en raison d’une négligence médicale des autorités pénitentiaires.

Un physicien de l’Hôpital Lewishman indique que le fait de ne pas octroyer à M. Hafeez une machine CPAP entraînait un danger conséquent pour sa vie. Il souffre également d’hypertension et de diabète, et compte tenu du déficit de réponse médicale adaptée, la situation ne fait que se dégrader.

M. Hafeez souffre de plusieurs maux notamment d’hypertension et de diabète. Suite à une hypertension artérielle constatée par des professionnels de santé, le médicament “Amlodipine” lui a été prescrit. M Hafeez doit prendre du 10mg, dose maximale possible.

Sa pression artérielle doit ainsi être contrôlée régulièrement, à défaut M. Hafeez risque une hypertension artérielle et donc, des maladies cardio-vasculaires aggravées, une insuffisance rénale et des accidents vasculaires cérébraux voire, un AVC. Or, il est avéré qu’il n’a pas reçu les soins appropriés jusqu’à présent suite à une forte négligence des services pénitenciers anglais qu’il convient de dénoncer.

En l’espèce, il existe une menace grave et immédiate pour l’intégrité physique et psychologique de M. Hafeez, qui subit un traitement dégradant et inhumain contraire à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Selon les dispositions de l’article 3 de la loi britannique sur les droits de l’homme, le droit de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant est une liberté fondamentale, en ce sens qu’il vise à préserver l’intégrité physique de toute personne contre toute ingérence excessive de l’autorité publique.

Risques de l’extradition

M. Hafeez dénonce ainsi un abus de procédure, une violation des droits fondamentaux, mais aussi d’autres faits très graves dont se rendent coupables les autorités américaines – notamment le meurtre d’Umar Farouk Kolia, qui avait soutenu M. Hafeez. Ce dernier avait auparavant été menacé avant d’être appelé par les autorités américaines à Sainte Lucie, où il a été retrouvé mort.

Un second témoin, M. Ifzaal Khan, a déclaré : « M. Kolia m’a dit que la DEA et la NCA l’avaient terrorisé et que je devais essayer de reconstruire ma vie. Il m’a dit qu’il ne s’approcherait jamais des Etats-Unis, sinon ils pourraient essayer de l’attraper ou de le tuer … J’ai appris qu’il était mort, je crois qu’il est allé à la rencontre de la DEA et qu’ils l’‘ont tué, il m’avait prévenu que si quelque chose lui arrivait, c’est qu’ils l’avaient tué ».

M. Hafeez a épuisé les voies de recours internes disponibles pour remédier à sa situation et à la violation de ses droits fondamentaux par le Royaume-Uni, et ne peut donc plus compter que sur la Cour européenne des Droits de l’Homme pour ne pas être extradé. Le droit à un procès équitable est menacé en cas d’extradition.

Des éléments de preuves ont été rapportés devant la Haute Cour de Justice britannique qui permettent de démontrer l’implication de la DEA dans l’extradition irrégulière des co-accusés du requérant du Kenya aux Etats-Unis.

Il est évident que le dossier monté contre M. Hafeez a été constitué à charge et de mauvaise foi. En effet, M. Hafeez a démontré à suffisance que la DEA a cherché à forcer M. Hafeez à continuer à coopérer avec elle dans l’objectif de capturer Dawood Ibrahim.

M. Hafeez a également pu recueillir le témoignage de Milesh Talreja, qui était une source confidentielle pour la DEA et la Commission australienne de renseignement criminel. Dans son témoignage, il est fait état de sa relation avec l’agent Eric Stouch, qui lui a signifié à quel point la DEA souhaitait procéder à l’inculpation de M. Hafeez aux États-Unis afin d’amener ce dernier à coopérer pour obtenir M. Dawood.

M. Kamran Faridi, qui a de même travaillé pour la FBI et la DEA pendant plus de 20 ans, était chargé d’enquêter sur M. Hafeez pour son éventuelle coopération avec le criminel Ibrahim Dawood puis de le piéger pour cela, chose qu’il a refusé de faire car il explique dans ses mails ne pas avoir trouvé un quelconque lien entre M. Hafeez et le criminel en question.

Selon lui, les autorités américaines voulaient monter un dossier contre M. Hafeez sur l’accusation de drogue en exerçant une pression suffisante sur lui afin d’obtenir sa coopération sur l’affaire Dawood. Face au choix de M. Faridi de témoigner en faveur de M. Hafeez, les autorités américaines ont fait pression sur lui et l’ont menacé de porter des accusations contre lui et d’expulser sa famille des États-Unis.

Après avoir témoigné pour M. Hafeez au Royaume-Uni, il fut expulsé du pays puis condamné aux Etats-Unis à 7 ans de prison. Le cas de M. Faridi démontre bien qu’un agent important du FBI ou de la DEA qui, après avoir travaillé pour eux, peut être inculpé par ces derniers sur la base d’antécédents criminels qui sont souvent inventés de toute pièce afin de les éliminer et de les décrédibiliser devant la justice, notamment en tant que témoin.

D’autre part, les déclarations des témoins démontrent également que les co-accusés ont subi des pressions afin de fournir des témoignages à l’encontre de M. Hafeez. Il est établi par ces éléments que la DEA avait parfaitement connaissance de l’illégalité de son opération d’extradition et avait l’intention de piéger les deux « co-accusés » dans le but de les utiliser comme levier pour obtenir la coopération de M. Hafeez.

Il n’y a dès lors aucun doute que leurs témoignages, obtenus sous la pression, seront utilisés contre lui à son procès. M. Hafeez dénonce donc la possibilité d’extradition alors que les preuves qui seront présentées à son encontre lors du procès auront été obtenues sous pression. Si M. Hafeez est extradé, il risque fortement d’être condamné à la prison à vie aux États-Unis, et ce, sans libération conditionnelle envisageable.

Par conséquent, l’ordre d’extradition de M. Hafeez aux Etats-Unis ne respecte pas le droit au procès équitable garanti par l’article 6 de la CEDH. L’extradition de M. Hafeez aux Etats-Unis entraînerait sa réclusion à perpétuité dans des conditions pénitentiaires bien pires que celles qu’il subit déjà.

Pour en savoir plus

https://www.geo.tv/latest/474611-who-is-asif-hafeez-the-untold-story-of-us-most-

https://impactpolicies.org/en/news/256/guilty-until-proven-innocent-extradition-human-rights-and-the-unjust-prosecution-pakistani-gold-trader-imprisoned-in-uks-belmarsh-prison

https://www.geo.tv/latest/320540-european-court-halts-extradition-of-suspected-pakistani-drug-lord-asif-hafeez

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Contact Presse

Me Emmanuel Ruchat

Mail : lexial@lexial.eu

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